
Emna Bchir et Carlos Zeballos
Co-Directeurs, Commission de Durabilité
À cause des crises multiples de pénurie d’eau, prix de l’énergie, pollution, perte de biodiversité qui se profilent à l’horizon, le changement climatique représente le défi le plus crucial de notre époque, catalysant un changement sociétal significatif qui influence tous les aspects de l’activité humaine dans le monde entier. Le 25 avril 2023, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré : « À mi-chemin de l’échéance de l’Agenda 2030, nous laissons plus de la moitié du monde derrière nous. Le rapport sur les progrès des ODD montre que seulement 12 % des cibles des objectifs de développement durable sont sur la bonne voie. Si nous n’agissons pas maintenant, l’Agenda 2030 deviendra l’épitaphe d’un monde qui aurait pu être. »
Par ailleurs, les chiffres alarmants de la croissance démographique montrent qu’aujourd’hui, 50 % de la population est urbaine et que d’ici 2050, 70 % le sera. Cela pose des problèmes concrets d’urbanisation avec un long chemin à parcourir pour les villes non seulement dans les pays en développement, mais aussi pour les mégapoles du monde entier, ce qui nécessite d’examiner la connexion entre les différentes couches de nos villes.
L’UIA a besoin de prendre du recul pour réfléchir à la manière de relever ces défis. En tant que co-directeurs de la Commission pour la durabilité, nous sommes chargés de mener une analyse approfondie de la durabilité au cours de l’UIA 2023-2026. Cela permettra à l’organisation de mieux se positionner et de se préparer à l’agenda post-2030 des Nations unies. Cette réflexion sera renforcée par le prochain livre blanc de l’UIA 2026 sur les villes et la Charte de l’urbanisation. Elle sera influencée par les discussions tenues avec des experts sur la durabilité selon différents points de vue :
Un point de vue philosophique qui vise à discuter de la durabilité : que devons-nous soutenir ? Comment aborder la réflexion ? Comment les stratégies de conception peuvent-elles évoluer pour développer des villes dynamiques capables de s’adapter aux changements futurs ?
Un point de vue culturel : comment la culture peut-elle être mise en œuvre pour devenir un moteur de la durabilité ? Comment intégrer les valeurs du passé dans une époque contemporaine ? Comment cela peut-il être mis en œuvre en tant qu’outil efficace de lutte contre la pauvreté d’une part et l’universalisation d’autre part ?
Un point de vue scientifique : Nous collaborerons avec des spécialistes dans divers domaines afin d’identifier et de rechercher des solutions concrètes aux problèmes sociaux et climatiques.
Une approve interdisciplinaire à la Commission du développement durable
La Commission du développement durable s’efforce d’adopter une approche interdisciplinaire qui supprime les cloisonnements et exploite les connaissances issues de divers domaines complémentaires, notamment l’architecture, l’ingénierie, la sociologie, l’économie, l’urbanisme, l’histoire de l’architecture et les paysages urbains et architecturaux. Cette stratégie est essentielle pour aborder un certain nombre de sujets, tels que l’urbanisation, la culture, l’atténuation du changement climatique et la durabilité/résilience. En même temps, afin de jouer notre rôle dans le développement de villes durables en réponse aux crises causées par le changement climatique, la pollution et la perte de biodiversité, il est important pour les architectes de penser dans des contextes géographiquement variés, économiquement disparates et historiquement diversifiés.
Beaucoup de travail doit être fait dans de nombreux domaines pour aborder l’adaptation au climat. Cela a conduit à l’émergence d’aspects techniques tels que le net-zéro, le bas carbone, la dynamique thermique et l’énergie, en plus de facteurs culturels tels que la conservation/préservation, la modernisation et l’universalisation, ainsi que la perspective urbanistique telle que la mobilité active et la mobilité douce.
Une série d’entretiens, tous plus passionnants les uns que les autres, a été lancée en novembre 2023. Le voyage a donc commencé par les premiers sujets identifiés : le point de vue scientifique mettant en évidence le changement de paradigme en cours.

Consommation en veille et personnalisation de masse avec Masa Noguchi
L’avènement révolutionnaire du big data a élargi l’approche scientifique et permis aux scientifiques de passer d’une méthodologie objective à une méthodologie subjective qui tient compte de la nature humaine, et d’une recherche multidisciplinaire à une recherche interdisciplinaire qui met l’accent sur l’interrelation entre les disciplines, permettant une vision plus large que la simple dimension physique de la durabilité.
L’universitaire japonais de renommée mondiale Masa Noguchi, basé à Melbourne en Australie, a souligné la manière dont les scientifiques se concentrent désormais davantage sur le facteur humain dans le secteur de la construction, et peuvent ainsi prendre en compte la subjectivité grâce au big data. L’idée qu’il défend est d’intégrer la dimension humaine comme une priorité absolue de l’approche de la durabilité, en mettant en avant les choix des personnes et en les rendant parties prenantes. Si l’on considère le secteur de l’énergie, il est prouvé que 3 à 10 % de l’énergie domestique tend à provenir de la consommation en veille. Si des millions de personnes éteignent leurs appareils lorsqu’elles dorment, cela permettra d’économiser une grande quantité d’énergie. Le concept de personnalisation de masse, introduit dans le domaine du logement par Stanley Davison en 1987, vise à fournir des logements abordables et de qualité en contrôlant l’utilisation des appareils ménagers, et donc la consommation d’énergie.
La personnalisation de masse constitue une bonne alternative car elle prend en compte les dimensions sociales, humaines et économiques de la durabilité, tandis que l’énergie zéro prend en compte la dimension environnementale. C’est un concept intéressant car, à grande échelle, nous n’avons pas besoin de dépenser trop d’argent pour réduire la consommation d’énergie. Tout est une question d’éducation. Mais cela implique que les gouvernements doivent prendre l’initiative, car l’élaboration des politiques vient d’en haut.
Il est intéressant de noter que Masa s’aligne sur le philosophe français Edgar Morin, qui place la dimension humaine au cœur de toute « approche complexe » et que la durabilité est une « approche complexe ». Mais cela fera l’objet d’un autre entretien avec le mathématicien Carlos Moreno.